Des coups de cœur au hasard de nos lectures.

Nous aimons tant la bande dessinée et la littérature jeunesse que nous leur avons consacré des pages séparées, accessibles depuis la colonne d'orientation, à gauche.

jeudi 14 octobre 2010

Le Crieur de nuit (Nelly Allard)

Ce livre très récent (paru en septembre 2010) mérite d'être ici mentionné parce qu'il allie la beauté et la poésie du texte lui-même aux contes et légendes bretons de "La Légende de la mort chez les Bretons armoricains", écrit par Anatole le Braz.
Enthousiasmant, cet ouvrage très court se lit vite, mais une fois arrivé à la fin, le lecteur n'a qu'une envie : le rouvrir à la première page pour le relire, moins vite, en le savourant comme on savoure un bon dessert. Dans cet ouvrage, il est question de la mort d'un père, de ses relations avec ses enfants, de sa tyrannie, de sa vie, de son humanité...
Un très beau roman à découvrir !
Pour un avis plus détaillé, voir ma critique ici.

Paru aux éditions Gallimard, 2010. ISBN : 978-2-07-012911-9.

Et pour les curieux :

Anatole le Braz : La Légende de la mort chez les Bretons armoricains, paru aux éditions Terre de Brume, 1991 (Bibliothèque celte). ISBN : 978-2-908021-30-1

dimanche 1 août 2010

Au Bon Roman, de Laurence Cossé

Ce livre commence comme un banal roman policier. Trois personnes apparemment sans lien entre elles sont victimes d’accidents et échappent de peu à la mort. A la suite de ces faits, Ivan et Francesca, propriétaires de la librairie "Au Bon Roman" à Paris, contactent la police et, pour mieux faire comprendre à l’officier chargé de les recevoir ce qui leur fait penser que ces accidents n’en sont pas, ils lui racontent leur histoire, celle de leur librairie, leurs liens avec les trois victimes et d'autres personnes qui pourraient faire, elles aussi, l'objet d'attentats similaires.

Ce serait donc une simple histoire policière si ce n’était son cadre et son discours. Au Bon Roman est en réalité la librairie idéale dont rêvent tous les amateurs de littérature, où l’acheteur ne trouverait que des chefs-d’œuvre, des romans, bien écrits, bien construits. L’intérêt du roman est donc double.
Le premier intérêt réside dans son intrigue, bien menée, haletante, captivante : l’histoire de cette librairie, des attentats et des différents protagonistes. Ce roman est en effet très bien écrit, et une fois la lecture commencée, il est difficile de sortir de ce monde pour revenir à la vie normale, du moins avant d’en avoir achevé la lecture.
D’autre part, ce roman a l’immense mérite d’ouvrir le lecteur aux horizons parfois brumeux de la littérature, par un apport non négligeable en termes de références bibliographiques. En effet, il est souvent difficile de faire le tri parmi la profusion des titres qui sortent chaque année dans les catalogues des éditeurs. L’auteur dénonce d’ailleurs superbement ce phénomène d’avalanche, en particulier au moment de la rentrée littéraire, en septembre, et dans une moindre mesure, au mois de janvier de chaque année. Elle énumère au fil du récit un certain nombre de chefs-d’œuvre de la littérature présents au catalogue de cette librairie idéale, en prenant d’emblée le parti de ne pas rester attaché à l’actualité littéraire. Il est donc parfaitement possible de se constituer par ce biais une liste de très bons romans qui, selon l'auteur, pourraient constituer une bibliothèque idéale. Nous avons relevé ces références : au total, sont mentionnés d’une part 80 auteurs différents, de plusieurs époques et nationalités, et d’autre part 87 titres de romans, dont certains écrits par quelques-uns des auteurs cités par ailleurs.
On y trouvera donc les grands classiques de la littérature française : Proust, Colette, Cendrars, Céline, Aragon, Giono, Bernanos, Gracq, Balzac, Zola, Flaubert ou Stendhal, pour ne citer que quelques-uns des plus connus, mais également des auteurs du monde entier, traduits en Français : Benoziglio, Karen Blixen, Dostoïevski, Nabokov, Evelyn Waugh, Anna Maria Ortese, Eudora Welty, Jane Austen, Cormac McCarthy, Kenzaburo Oe, Inoué, Franz Bartelt, Mervyn Peake, Cholodenko, Echenoz, Böll, Di Nota…
Enfin, ce livre décrit également le fonctionnement des librairies : à la fin du récit, le lecteur en sait un peu plus sur ce qui se passe dans ce domaine, ainsi que dans celui de l’édition, même si c’est dans une moindre mesure.

Nul ne sait si ce roman, à l'instar de ceux qui y sont cités, passera à la postérité. Il aura au moins eu le mérite de promouvoir une littérature de qualité, loin des phénomènes de mode ou des ouvrages calibrés pour plaire ou pour être des best-sellers. La thèse défendue ici est à l’opposé de la position marketing de la plupart des maisons d’édition et promeut la qualité plutôt que la quantité, la lecture exigeante plutôt que la lecture facile, prédigérée et calibrée pour plaire au plus grand nombre. En un mot, ce roman vise à élever le niveau au lieu de le niveler par le bas.
Et, ce qui ne gâte rien, il donne envie de lire ces 87 livres et ces 80 auteurs, de découvrir leurs univers, de tenter de comprendre ce qui fait la différence entre eux et la multitude des livres qui sortent chaque année.

Paru aux éditions Gallimard, 2010 (Folio). ISBN : 978-2-07-041998-2

samedi 26 juin 2010

Sawaba : une vie volée (Ludovic Falandry)

Il est des romans qui marquent leurs lecteurs, qui ne laissent pas indemne qui les a ouverts. Sawaba est de ceux-là.
Ludovic Falandry est un écrivain débutant. Sawaba est son premier roman, mais pas son premier ouvrage. Il est médecin, urologue, chirurgien militaire et pionnier de l' "Urologie d'ailleurs".
Son récit est un appel au secours pour des millions de femmes qui vivent dans la solitude, l'exclusion, la honte d'elles-mêmes, de leur corps, au point d'en arriver à nier leur propre existence. Il se veut le défenseur de leur cause, une lutte contre l'injustice qui frappe ces femmes, les fistules obstétricales : sujet tabou, dérangeant, difficile, intime.

Mais ce n'est pas ici notre propos. Parce que cet ouvrage, c'est aussi et surtout une plongée extraordinaire dans l'Afrique rurale profonde. Une plongée dans les cœurs des hommes et des femmes, dans les coutumes, les traditions, la religion de ces populations qui vivent dans une extrême pauvreté. C'est aussi un roman sur l'indicible. Ludovic Falandry plonge le lecteur au cœur même de l'intimité de ses personnages, dans leurs pensées les plus profondes. Au cœur de leur pudeur, de leur identité, de leur dignité ; au cœur aussi de l'humiliation, du silence, des non-dits, de la peur, de la honte enfin.
C'est enfin le récit d'une renaissance, après la mort sociale qu'a subi cette jeune fille de 15 ans qu'est Sawaba, mariée, mutilée, répudiée, exclue.

Ce roman n'est pas exempt de défauts. Les descriptions, notamment dans les pensées intimes des personnages, sont parfois lourdes, répétitives, insistantes. D'un premier abord, ces lourdeurs peuvent sembler être des maladresses d'écriture, venant d'un auteur extrêmement concerné par son sujet. Avec le recul, la répétition, parfois jusqu'à la nausée, donne au récit une force incroyable. C'est finalement plus le processus narratif que les mots eux-mêmes qui permettent au lecteur d'entrer dans l'effroyable condition de cette jeune fille, dans l'horreur absolue et apparemment sans espoir qu'elle vit au quotidien. On pardonne à l'auteur cette "maladresse", d'autant plus facilement que dans toute la seconde moitié du récit, le propos se fait fluide, énergique, contrastant avec la lourdeur (voulue ?) de quelques-uns des chapitres de l'ouvrage.
L'autre défaut semble minime, mais c'est sans doute le plus gênant finalement, car il est, lui, impardonnable. Il s'agit des fautes de frappe qui émaillent le premier tiers de l'ouvrage. Avec d'autres erreurs de ce type, ces fautes démontrent de la part de l'éditeur un manque flagrant de professionnalisme et de sérieux quant au texte qu'il édite, en donnant l'impression dérangeante que le livre n'a même pas été relu avant publication. C'est d'autant plus préjudiciable qu'au final, c'est le roman lui-même qui en pâtit, avec une impression pour le lecteur d'un travail non abouti, non terminé, comme si on lui avait mis entre les mains le brouillon lui-même.
Et pourtant, ce roman a un excellent potentiel, avec une intrigue bien menée, captivante, une plongée passionnante au cœur d'un univers totalement inconnu pour nous, occidentaux, un dénouement heureux, crédible malgré la difficulté de la situation, et de vraies qualités d'écriture. Le lecteur était en droit de s'attendre à un texte mieux fini, plus abouti, de la part d'un éditeur qui se targue d'être une référence dans le domaine scientifique.

Paru aux éditions L'Harmattan, 2009 (ISBN : 978-2-296-08941-9)

dimanche 18 avril 2010

La Petite fille de Monsieur Linh (Philippe Claudel)

Lorsque j'ai refermé "La Petite fille de Monsieur Linh", deux faits me sont apparus comme des évidences : résumer un tel ouvrage est, sinon impossible, du moins plutôt difficile sans dévoiler l'histoire d'une part, et d'autre part, ce roman devait absolument faire l'objet d'un article.
J'ai lu beaucoup de romans récents ces derniers temps, et plusieurs m'ont emballée. Celui-ci m'a littéralement conquise.
S'il est difficile à résumer, par où commencer cet article ?

Monsieur Linh, c'est un exilé. Un vieil homme qui fuit son pays dévasté. Il fuit la mort, la guerre, peut-être ? Le roman ne donne pas beaucoup de précisions. Sans doute parce que Monsieur Linh, ce pourrait être n'importe lequel de ces hommes d'origine asiatique arrivés un jour par bateau, en Europe ou ailleurs, fuyant la guerre, les destructions et la mort.
Au fil du récit, le lecteur apprend quelques bribes de sa vie "avant". Mais celle qui est décrite, c'est sa vie ici, à son arrivée dans un des pays d'accueil, dans une ville portuaire quelque part en Europe (ou ailleurs, on ne sait pas). Il n'arrive pas seul : il tient un bébé serré contre lui, une toute petite fille, un nouveau-né, qui devient sa seule raison de vivre, de se "battre", c'est-à-dire d'avancer dans ce monde inconnu. Il la protège, la nourrit, prend soin d'elle. Elle est toute sa vie.
Une rencontre va redonner des couleurs à son existence. Mais comment se repérer dans un monde où tout est différent ? Les sons, la langue, les habitations, les rues...

Ce roman, c'est un long poème sur la vie, l'amitié, l'exil, la vieillesse. La fin est inattendue, surprenante. A tel point qu'en refermant ce livre, j'ai eu envie de le rouvrir, de le reprendre, le relire, le digérer, pour essayer de comprendre. Je ne l'ai pas fait. Après une telle surprise, relire revenait à briser la magie que ce récit avait fait naître en moi. C'est inattendu, et à la réflexion, si évident... Le personnage de Monsieur Linh prend une toute autre dimension, et ce qui n'était que sous-entendu pendant tout le roman devient soudain lumineux, évident, imparable...

Parmi les romans que j'ai lus récemment, celui-ci est une vraie découverte, un gros, gros coup de coeur, alors que Philippe Claudel n'est pas connu pour avoir écrit des choses aussi sensibles : il est par exemple l'auteur du "Bruit des trousseaux", qui se déroule en prison, et qui regroupe des réflexions souvent difficiles et brutales sur la vie en détention... Rien de tel ici : le quotidien de Monsieur Linh, difficile, est "adouci" par la présence de sa petite fille et de son nouvel ami... Une relation très jolie apparaît, et c'est avec beaucoup de sensibilité que l'auteur la fait naître et vivre...


Paru aux éditions Stock, Paris, 2005. ISBN : 2-234-05774-4.
Paru dans la collection Le Livre de Poche, Librairie Générale Française, Paris, 2007. ISBN : 978-2-253-11554-0

mardi 6 avril 2010

L'Enfant Bleu (Henry Bauchau)

Henry Bauchau, qui a d'abord étudié le droit, n'a jamais pu exercer pour cause de mobilisation au début de la Seconde guerre mondiale. Après le conflit, il a entamé une psychanalyse qui l'a transformé. Il mêle dans ce très beau roman la tendresse et la poésie, pour nous emmener dans la tête d'Orion, à la frontière entre l'art et la folie.
Orion, en effet, est un jeune psychotique (autiste), pris en charge en hôpital de jour. Il est muré dans sa psychose, et est sujet à de violentes crises dues aux "rayons" du "démon de Paris". Un jour, Véronique, poète, biologiste et "psycho-prof-un-peu-docteur" comme dit Orion, débarque à l'hôpital de jour, et commence la prise en charge d'Orion.
Des liens très forts se tissent entre le jeune garçon et sa thérapeute, à travers l'art sous toutes ses formes : dessin, peinture, sculpture, mais aussi poésie, musique...
Leur "relation" va durer 13 ans. 13 ans qui sont égrénés dans le roman au fil des progrès et des régressions d'Orion.
Orion, malgré (ou peut-être à cause de ?) sa violence sous-jacente, est un personnage très attachant. Il est seul, visiblement démuni devant des crises d'angoisse qu'il sent être "mauvaises", mais dans lesquelles, malgré tout, on sent qu'il prend un plaisir non dissimulé. L'utilisation de nombreux termes n'appartenant pas au langage français "normal" (bazardifié, déconstructionner, et ce ne sont que deux exemples) le rendent "crédible" aux yeux du lecteur, et lui permettent de "rentrer" dans la relation qui s'établit entre Orion et Véronique. Ces termes, d'ailleurs, permettent d'ajouter du sens au discours parfois décousu d'Orion : ils mettent des images sur les sentiments d'angoisse, de terreur qui habitent le jeune homme, et donnent au récit un aspect "visuel" très présent par ailleurs dans la description des oeuvres que peint ou sculpte Orion.
Avec beaucoup de délicatesse et de retenue, Henry Bauchau est capable de donner à voir la sensualité d'une statue de bison, la détresse d'un Minotaure ou la musicalité d'une "harpe éolienne", que, pour autant, le lecteur ne pourra pas se représenter bien précisément. C'est bien là la magie de l'écriture : parvenir à susciter dans l'imagination du lecteur la création d'images mentales qui donnent toute leur saveur aux mots et aux récits. L'art, la folie, le rêve, l'imaginaire sont des éléments très présents dans "L'Enfant Bleu", à tel point que le lecteur se laisse prendre au "jeu" : "Et si c'était vrai ? Si Orion voyait vraiment des choses que le commun des mortels ne peut voir ?" Qu'est-ce qui, finalement, fait qu'une oeuvre d'art en est une, et pas un vulgaire "truc" ? C'est parce qu'Orion est angoissé, handicapé, "fou", qu'il parvient, grâce à son don, à exposer ses oeuvres où il exprime ses terreurs, ses envies, ses rêves... La création artistique, littéraire, n'est-ce pas aussi ça, permettre au monde de découvrir ce qui habite l'auteur ?

Ce roman se veut aussi en partie réaliste : un cas aussi grave qu'Orion ne peut pas sortir du handicap en deux temps trois mouvements. Il n'y a donc pas de happy end... Mais la fin donne un espoir immense en ce jeune homme, qui a déjà tellement avancé, qui a encore tellement de chemin à faire, et toute la vie devant lui...

Paru aux éditions Actes Sud, Paris, 2004. ISBN : 978-2-7427-5139-6
Paru aux éditions J'ai Lu, Paris, 2007. ISBN : 978-2-290-34839-0

lundi 5 avril 2010

D'autres vies que la mienne (Emmanuel Carrère)

D'autres vies que la mienne, c'est l'histoire d'un homme témoin de la mort d'une fillette, témoin aussi du deuil de ses parents. Ils ne sont rien pour lui, ils sont juste au même endroit que lui, au même moment que lui. Cet homme vit avec une femme, leur couple est un peu boiteux, lui n'y croit plus trop, elle ne sait pas... se donne du mal pour aider les autres, sans doute pour fuir ce couple qu'elle forme avec lui et auquel elle ne donne pas vraiment de chance ?
Quelques mois plus tard, ce même homme assiste à la mort d'une femme, au deuil de son mari, de leurs trois filles et du reste de la famille.

La perte d'un enfant, sans doute le pire drame pour des parents.

La perte d'une maman, un drame non moins grand pour des enfants, pour leur père.
L'homme n'est rien pour eux. Il est le nouveau compagnon de la soeur de la défunte. Ce sont les circonstances qui l'ont conduit là, qui l'ont amené à assister à ces événements tragiques. Cet homme est écrivain, et il reçoit une commande : raconter ces histoires.

C'est tout l'objet de ce roman. Raconter les derniers instants. La mort. Le deuil. Raconter aussi la vie. Avant. Qui elles étaient.
Après, aussi. La vie après, la vie de ceux qui restent.

Ces épreuves, ces deuils, finalement, cet homme va les vivre aussi, à sa manière. Et en ressortir différent, grandi. L'écriture est parfois un peu crue. Mais la vie ne l'est-elle pas, elle aussi ?
En tout cas, le lecteur est là, présent avec l'homme, dans les entretiens, dans le quotidien qu'il partage avec le mari, l'ami, les parents. Il se pose des questions. Tout comme l'écrivain. Et si la vie, c'était ça aussi ? Pendant tout le temps de l'écriture du livre qu'on lui a commandé, l'écrivain va revenir à ce qui fait l'essence de la vie. Voir enfin les priorités qu'il veut donner à son existence. Faire la part des choses. Et bâtir enfin sur du solide.

Ce qui se dégage de ce roman, c'est une grande force de vie. Ce livre est un hymne à l'amour, simple, vrai, fort et fragile, puisque la maladie ou une catastrophe naturelle peuvent y mettre fin. C'est aussi une ode à l'espérance : la vie est plus forte que la mort. La vie reprend ses droits, elle continue.
Un discours banal, qu'on dit sans doute sans trop y croire à ceux et celles qui sont frappés par la mort d'un proche. Mais qui prend une tout autre dimension dans ces pages.


Paru aux éditions P.O.L., Paris, 2009. ISBN : 9782846822503