Des coups de cœur au hasard de nos lectures.

Nous aimons tant la bande dessinée et la littérature jeunesse que nous leur avons consacré des pages séparées, accessibles depuis la colonne d'orientation, à gauche.

samedi 26 juin 2010

Sawaba : une vie volée (Ludovic Falandry)

Il est des romans qui marquent leurs lecteurs, qui ne laissent pas indemne qui les a ouverts. Sawaba est de ceux-là.
Ludovic Falandry est un écrivain débutant. Sawaba est son premier roman, mais pas son premier ouvrage. Il est médecin, urologue, chirurgien militaire et pionnier de l' "Urologie d'ailleurs".
Son récit est un appel au secours pour des millions de femmes qui vivent dans la solitude, l'exclusion, la honte d'elles-mêmes, de leur corps, au point d'en arriver à nier leur propre existence. Il se veut le défenseur de leur cause, une lutte contre l'injustice qui frappe ces femmes, les fistules obstétricales : sujet tabou, dérangeant, difficile, intime.

Mais ce n'est pas ici notre propos. Parce que cet ouvrage, c'est aussi et surtout une plongée extraordinaire dans l'Afrique rurale profonde. Une plongée dans les cœurs des hommes et des femmes, dans les coutumes, les traditions, la religion de ces populations qui vivent dans une extrême pauvreté. C'est aussi un roman sur l'indicible. Ludovic Falandry plonge le lecteur au cœur même de l'intimité de ses personnages, dans leurs pensées les plus profondes. Au cœur de leur pudeur, de leur identité, de leur dignité ; au cœur aussi de l'humiliation, du silence, des non-dits, de la peur, de la honte enfin.
C'est enfin le récit d'une renaissance, après la mort sociale qu'a subi cette jeune fille de 15 ans qu'est Sawaba, mariée, mutilée, répudiée, exclue.

Ce roman n'est pas exempt de défauts. Les descriptions, notamment dans les pensées intimes des personnages, sont parfois lourdes, répétitives, insistantes. D'un premier abord, ces lourdeurs peuvent sembler être des maladresses d'écriture, venant d'un auteur extrêmement concerné par son sujet. Avec le recul, la répétition, parfois jusqu'à la nausée, donne au récit une force incroyable. C'est finalement plus le processus narratif que les mots eux-mêmes qui permettent au lecteur d'entrer dans l'effroyable condition de cette jeune fille, dans l'horreur absolue et apparemment sans espoir qu'elle vit au quotidien. On pardonne à l'auteur cette "maladresse", d'autant plus facilement que dans toute la seconde moitié du récit, le propos se fait fluide, énergique, contrastant avec la lourdeur (voulue ?) de quelques-uns des chapitres de l'ouvrage.
L'autre défaut semble minime, mais c'est sans doute le plus gênant finalement, car il est, lui, impardonnable. Il s'agit des fautes de frappe qui émaillent le premier tiers de l'ouvrage. Avec d'autres erreurs de ce type, ces fautes démontrent de la part de l'éditeur un manque flagrant de professionnalisme et de sérieux quant au texte qu'il édite, en donnant l'impression dérangeante que le livre n'a même pas été relu avant publication. C'est d'autant plus préjudiciable qu'au final, c'est le roman lui-même qui en pâtit, avec une impression pour le lecteur d'un travail non abouti, non terminé, comme si on lui avait mis entre les mains le brouillon lui-même.
Et pourtant, ce roman a un excellent potentiel, avec une intrigue bien menée, captivante, une plongée passionnante au cœur d'un univers totalement inconnu pour nous, occidentaux, un dénouement heureux, crédible malgré la difficulté de la situation, et de vraies qualités d'écriture. Le lecteur était en droit de s'attendre à un texte mieux fini, plus abouti, de la part d'un éditeur qui se targue d'être une référence dans le domaine scientifique.

Paru aux éditions L'Harmattan, 2009 (ISBN : 978-2-296-08941-9)