Des coups de cœur au hasard de nos lectures.

Nous aimons tant la bande dessinée et la littérature jeunesse que nous leur avons consacré des pages séparées, accessibles depuis la colonne d'orientation, à gauche.

dimanche 18 avril 2010

La Petite fille de Monsieur Linh (Philippe Claudel)

Lorsque j'ai refermé "La Petite fille de Monsieur Linh", deux faits me sont apparus comme des évidences : résumer un tel ouvrage est, sinon impossible, du moins plutôt difficile sans dévoiler l'histoire d'une part, et d'autre part, ce roman devait absolument faire l'objet d'un article.
J'ai lu beaucoup de romans récents ces derniers temps, et plusieurs m'ont emballée. Celui-ci m'a littéralement conquise.
S'il est difficile à résumer, par où commencer cet article ?

Monsieur Linh, c'est un exilé. Un vieil homme qui fuit son pays dévasté. Il fuit la mort, la guerre, peut-être ? Le roman ne donne pas beaucoup de précisions. Sans doute parce que Monsieur Linh, ce pourrait être n'importe lequel de ces hommes d'origine asiatique arrivés un jour par bateau, en Europe ou ailleurs, fuyant la guerre, les destructions et la mort.
Au fil du récit, le lecteur apprend quelques bribes de sa vie "avant". Mais celle qui est décrite, c'est sa vie ici, à son arrivée dans un des pays d'accueil, dans une ville portuaire quelque part en Europe (ou ailleurs, on ne sait pas). Il n'arrive pas seul : il tient un bébé serré contre lui, une toute petite fille, un nouveau-né, qui devient sa seule raison de vivre, de se "battre", c'est-à-dire d'avancer dans ce monde inconnu. Il la protège, la nourrit, prend soin d'elle. Elle est toute sa vie.
Une rencontre va redonner des couleurs à son existence. Mais comment se repérer dans un monde où tout est différent ? Les sons, la langue, les habitations, les rues...

Ce roman, c'est un long poème sur la vie, l'amitié, l'exil, la vieillesse. La fin est inattendue, surprenante. A tel point qu'en refermant ce livre, j'ai eu envie de le rouvrir, de le reprendre, le relire, le digérer, pour essayer de comprendre. Je ne l'ai pas fait. Après une telle surprise, relire revenait à briser la magie que ce récit avait fait naître en moi. C'est inattendu, et à la réflexion, si évident... Le personnage de Monsieur Linh prend une toute autre dimension, et ce qui n'était que sous-entendu pendant tout le roman devient soudain lumineux, évident, imparable...

Parmi les romans que j'ai lus récemment, celui-ci est une vraie découverte, un gros, gros coup de coeur, alors que Philippe Claudel n'est pas connu pour avoir écrit des choses aussi sensibles : il est par exemple l'auteur du "Bruit des trousseaux", qui se déroule en prison, et qui regroupe des réflexions souvent difficiles et brutales sur la vie en détention... Rien de tel ici : le quotidien de Monsieur Linh, difficile, est "adouci" par la présence de sa petite fille et de son nouvel ami... Une relation très jolie apparaît, et c'est avec beaucoup de sensibilité que l'auteur la fait naître et vivre...


Paru aux éditions Stock, Paris, 2005. ISBN : 2-234-05774-4.
Paru dans la collection Le Livre de Poche, Librairie Générale Française, Paris, 2007. ISBN : 978-2-253-11554-0

mardi 6 avril 2010

L'Enfant Bleu (Henry Bauchau)

Henry Bauchau, qui a d'abord étudié le droit, n'a jamais pu exercer pour cause de mobilisation au début de la Seconde guerre mondiale. Après le conflit, il a entamé une psychanalyse qui l'a transformé. Il mêle dans ce très beau roman la tendresse et la poésie, pour nous emmener dans la tête d'Orion, à la frontière entre l'art et la folie.
Orion, en effet, est un jeune psychotique (autiste), pris en charge en hôpital de jour. Il est muré dans sa psychose, et est sujet à de violentes crises dues aux "rayons" du "démon de Paris". Un jour, Véronique, poète, biologiste et "psycho-prof-un-peu-docteur" comme dit Orion, débarque à l'hôpital de jour, et commence la prise en charge d'Orion.
Des liens très forts se tissent entre le jeune garçon et sa thérapeute, à travers l'art sous toutes ses formes : dessin, peinture, sculpture, mais aussi poésie, musique...
Leur "relation" va durer 13 ans. 13 ans qui sont égrénés dans le roman au fil des progrès et des régressions d'Orion.
Orion, malgré (ou peut-être à cause de ?) sa violence sous-jacente, est un personnage très attachant. Il est seul, visiblement démuni devant des crises d'angoisse qu'il sent être "mauvaises", mais dans lesquelles, malgré tout, on sent qu'il prend un plaisir non dissimulé. L'utilisation de nombreux termes n'appartenant pas au langage français "normal" (bazardifié, déconstructionner, et ce ne sont que deux exemples) le rendent "crédible" aux yeux du lecteur, et lui permettent de "rentrer" dans la relation qui s'établit entre Orion et Véronique. Ces termes, d'ailleurs, permettent d'ajouter du sens au discours parfois décousu d'Orion : ils mettent des images sur les sentiments d'angoisse, de terreur qui habitent le jeune homme, et donnent au récit un aspect "visuel" très présent par ailleurs dans la description des oeuvres que peint ou sculpte Orion.
Avec beaucoup de délicatesse et de retenue, Henry Bauchau est capable de donner à voir la sensualité d'une statue de bison, la détresse d'un Minotaure ou la musicalité d'une "harpe éolienne", que, pour autant, le lecteur ne pourra pas se représenter bien précisément. C'est bien là la magie de l'écriture : parvenir à susciter dans l'imagination du lecteur la création d'images mentales qui donnent toute leur saveur aux mots et aux récits. L'art, la folie, le rêve, l'imaginaire sont des éléments très présents dans "L'Enfant Bleu", à tel point que le lecteur se laisse prendre au "jeu" : "Et si c'était vrai ? Si Orion voyait vraiment des choses que le commun des mortels ne peut voir ?" Qu'est-ce qui, finalement, fait qu'une oeuvre d'art en est une, et pas un vulgaire "truc" ? C'est parce qu'Orion est angoissé, handicapé, "fou", qu'il parvient, grâce à son don, à exposer ses oeuvres où il exprime ses terreurs, ses envies, ses rêves... La création artistique, littéraire, n'est-ce pas aussi ça, permettre au monde de découvrir ce qui habite l'auteur ?

Ce roman se veut aussi en partie réaliste : un cas aussi grave qu'Orion ne peut pas sortir du handicap en deux temps trois mouvements. Il n'y a donc pas de happy end... Mais la fin donne un espoir immense en ce jeune homme, qui a déjà tellement avancé, qui a encore tellement de chemin à faire, et toute la vie devant lui...

Paru aux éditions Actes Sud, Paris, 2004. ISBN : 978-2-7427-5139-6
Paru aux éditions J'ai Lu, Paris, 2007. ISBN : 978-2-290-34839-0

lundi 5 avril 2010

D'autres vies que la mienne (Emmanuel Carrère)

D'autres vies que la mienne, c'est l'histoire d'un homme témoin de la mort d'une fillette, témoin aussi du deuil de ses parents. Ils ne sont rien pour lui, ils sont juste au même endroit que lui, au même moment que lui. Cet homme vit avec une femme, leur couple est un peu boiteux, lui n'y croit plus trop, elle ne sait pas... se donne du mal pour aider les autres, sans doute pour fuir ce couple qu'elle forme avec lui et auquel elle ne donne pas vraiment de chance ?
Quelques mois plus tard, ce même homme assiste à la mort d'une femme, au deuil de son mari, de leurs trois filles et du reste de la famille.

La perte d'un enfant, sans doute le pire drame pour des parents.

La perte d'une maman, un drame non moins grand pour des enfants, pour leur père.
L'homme n'est rien pour eux. Il est le nouveau compagnon de la soeur de la défunte. Ce sont les circonstances qui l'ont conduit là, qui l'ont amené à assister à ces événements tragiques. Cet homme est écrivain, et il reçoit une commande : raconter ces histoires.

C'est tout l'objet de ce roman. Raconter les derniers instants. La mort. Le deuil. Raconter aussi la vie. Avant. Qui elles étaient.
Après, aussi. La vie après, la vie de ceux qui restent.

Ces épreuves, ces deuils, finalement, cet homme va les vivre aussi, à sa manière. Et en ressortir différent, grandi. L'écriture est parfois un peu crue. Mais la vie ne l'est-elle pas, elle aussi ?
En tout cas, le lecteur est là, présent avec l'homme, dans les entretiens, dans le quotidien qu'il partage avec le mari, l'ami, les parents. Il se pose des questions. Tout comme l'écrivain. Et si la vie, c'était ça aussi ? Pendant tout le temps de l'écriture du livre qu'on lui a commandé, l'écrivain va revenir à ce qui fait l'essence de la vie. Voir enfin les priorités qu'il veut donner à son existence. Faire la part des choses. Et bâtir enfin sur du solide.

Ce qui se dégage de ce roman, c'est une grande force de vie. Ce livre est un hymne à l'amour, simple, vrai, fort et fragile, puisque la maladie ou une catastrophe naturelle peuvent y mettre fin. C'est aussi une ode à l'espérance : la vie est plus forte que la mort. La vie reprend ses droits, elle continue.
Un discours banal, qu'on dit sans doute sans trop y croire à ceux et celles qui sont frappés par la mort d'un proche. Mais qui prend une tout autre dimension dans ces pages.


Paru aux éditions P.O.L., Paris, 2009. ISBN : 9782846822503